Interview de l’ambassadeur d’Estonie au Sommet du digital 2017 est une bonne source d'informations mais aussi de correction des Fake, interprétations et autres fantasmes qui circulent sur ce pays comme par exemple concernant la confusion entre la eResidence et la eCitoyenneté ou encore l'usage de la blockchain dans le système d'information de la eSanté.
Interview de l’ambassadeur d’Estonie Alar Streimann par Jean Michel Billaut (créateur Atelier BNP Paribas) et Loïc Hervé (Sénateur CNIL)
Loïc Hervé : Nous sommes très heureux d’accueillir Alar Streimann, ambassadeur d’Estonie en France.
L’Estonie l’un des trois pays baltes. Sa population s’élève à 1,3 million habitants.
Ce pays se distingue dans l’Union Européenne par ses mutations technologiques, notamment dans l’organisation de son administration. Il est important que la France s’interroge sur la mutation de son administration et l’expérience estonienne est une référence. La France s’est dotée en 1978 d’une loi fondatrice de protection des libertés publiques et des données personnelles. Elle doit mener aujourd’hui une réflexion de fond sur un modèle de conciliation entre les principes de la démocratie et l’ambition numérique.
Jean Michel Billaut : Tout d’abord, qu’est-ce que le x-road en Estonie ?
Alan Streimann : Le grand succès numérique de l’Estonie se situe au niveau de l’administration publique, mais il reste encore beaucoup à faire dans le domaine privé.
Le x-road est une plateforme technique qui garantit l’échange des données des différents organismes publics. En Estonie, les données publiques ne sont pas dans un seul lieu ; c’est pour cette raison que la plateforme x-road a été développée au début des années 2000. Le x-road est aussi utilisée aujourd’hui par un grand nombre d’entreprises privées.
JMB : Chaque Estonien a une carte à puce ?
AS : Oui, c’est une carte d’identité. Elle a été introduite en 2002 et elle est obligatoire. Elle permet de communiquer entre le citoyen et le gouvernement.
JMB : Sur votre x-road, des entreprises publiques et également privées utilisent la même carte. Les banquiers l’ont bien acceptée ?
AS : Il y a eu un des oppositions au début en raison de la compétition avec la carte bancaire, mais à présent, personne ne le regrette. Toutes les transactions bancaires peuvent se faire avec la carte d’identité et il est possible de se connecter avec sur le site des banques.
JMB : Je suis e-résident Estonien. Pouvez-vous nous expliquer cette stratégie d’e-résidence ?
AS : Nous l’avons lancée il y a un an. Entre 500 et 600 Français sont devenus e-résidents en Estonie. La e-résidence permet de créer une entreprise en Estonie et d’utiliser tous les services publics estoniens.
JMB : Je suis e-résident, j’ai ma carte Estonienne, je peux me connecter sur le x-road. Est-ce qu’en restant en France, je peux créer ma start-up en Estonie ?
AS : Tout à fait. Cela prend 15 minutes.
JMB : Puis-je ouvrir un compte bancaire dans une banque estonienne en restant en France ?
AS : Pas encore, car aujourd’hui les vérifications doivent être faites sur place, mais nous développons une solution permettant à la banque de vérifier les personnes en visiophonie. Ce service sera lancé dans 2 mois.
JMB : Je crée ma société en Estonie et j’ai un compte dans une banque estonienne. Je peux travailler dans toute l’Europe, facturer des clients en euros. Quelle est l’imposition en Estonie ?
AS : Si vous ne sortez pas l’argent de votre entreprise estonienne, vous ne payez pas d’impôts.
JMB : Et pour se payer un salaire en restant en France, quelle convention fiscale s’applique ?
AS : C’est celle de l’Europe.
JMB : Vais-je payer des impôts aussi en France ?
AS : En tant que personne privée, si vous ne devenez pas résident fiscal en Estonie, vous payez probablement des impôts en France.
JMB : J’ai lu sur internet que l’Estonie attendait 15 millions de e-résidents en 2025.
AS : C’est cela. 15 % des e-résidents de tous les pays ont créé à ce jour leur entreprise en Estonie.
JMB : Les Américains, qui n’aiment pas Trump, vont-ils venir chez vous ?
AS : Je ne sais pas ! Par contre, nous avons des politiciens connus. Angela Merkel est par exemple devenue e-résidente estonienne !
JMB : l’Allemagne va-t-elle adopter votre x-road ? Si elle le fait, elle va réaliser des économies sur les dépenses publiques.
AS : Le x-road estonien est un freeware, il est donc gratuit. Techniquement, ce système n’est pas compliqué à adapter. Par contre au niveau du contenu, il faut que le système des impôts et des lois du pays soit simple. Cela peut être l’opportunité pour un pays de revoir son système !
JMB : Le niveau de corruption en Estonie est très faible. Y-a-t-il un lien entre le niveau de corruption et le niveau de digitalisation ?
AS : C’est difficile à dire, car d’autres facteurs peuvent entrer en jeu. Au début des années 90, l’Estonie a rétabli son indépendance et a adopté des décisions pour utiliser le numérique. Cela a été très important pour faire un service public plus transparent et moins corrompu.
JMB : Comment votez-vous en Estonie ?
AS : Depuis 2005, nous pouvons voter par voie digitale en Estonie. C’est une possibilité donnée par la carte d’identité. Il y a eu beaucoup d’opposition au départ. Aujourd’hui, environ un tiers de la population vote ainsi, en particulier la population plus âgée.
JMB : Il paraît que le dossier médical des estoniens est en blockchain.
AS : Ce n’est pas tout à fait cela. Les métadonnées des bases de données de santé sont en blockchain, mais pas les données.
David Abiker : Pour quelle raison politique l’Estonie s’est-elle engagée dans cette voie ?
AS : Il fallait que l’Estonie, qui est un petit pays, reste compétitive par rapport aux plus grands pays. Cela a été une très forte motivation.
Quelques politiciens ont eu une forte influence en préparant la population à ce type de changement. Par exemple, notre ancien président, M. Ilves, a lancé vers 1995 un programme d’éducation numérique appelé Tiger Leap.
Questions de la salle : Combien avez-vous de startups en Estonie ?
AS : Je ne connais pas le nombre exact, mais cela se développe.
Questions de la salle : Le x-road a été fait par les startups ?
AS : Non, mais des grandes start-ups ont été créées en Estonie, par exemple Skype ou encore Guardtime qui a développé le Keyless Signature, un système de signature digitale. L’Estonie a d’autres nombreuses petites entreprises qui deviendront peut-être grandes à l’avenir.
Fabrice Berger Duquene : Pourquoi, d’un point de vue de l’état Estonien, avoir mis en place cette e-nationalité ?
AS : Je précise que ce n’est pas une nationalité. La e-résidence ne donne pas le droit de citoyenneté. Les e-résidents n’ont pas automatiquement un visa pour entrer sur l’espace de Schengen. La e-résidence est plutôt un moyen pour motiver les gens à utiliser les services numériques en Estonie. Les pays sont en compétition au niveau des entreprises et c’est peut-être notre solution.
Depuis le 7 juillet 2016, tous les pays de l’Union européenne doivent accepter les documents signés en digital. Pour ma part, je signe tous les documents en digital. Je me demande si les autres pays sont prêts à recevoir de l’Estonie des documents signés en digital. Des solutions ont été trouvées, mais il reste à voir si cela marche. Nous invitons tous les entrepreneurs à utiliser l’e-résidence s’ils trouvent que les services sont plus faciles et plus rapides chez nous !
Bruno Frilandsky : Vous avez tellement d’avance ; qui vous inspire ? Vous pouvez voter en digital depuis 2005 et j’ai l’impression que nous sommes le tiers-monde !
AS : Il faudrait poser la question à mes compatriotes qui ont été à la source de cette décision. Il y a vraiment dans le digital des niveaux très différents entre les pays européens et je pense que pour rester compétitifs, nous devons faire plus d’efforts communs.
Xavier Crochet : Quelle politique d’éducation numérique avez-vous mise en place pour arriver à cette dématérialisation des services publics ?
AS : Dans l’éducation, nous avons commencé très tôt avec Tiger Leap. Nous avons introduit dans toutes les écoles des ordinateurs, nous avons formé les professeurs et nous avons changé les programmes d’éducation.
Nous en sommes à la 2e ou 3e génération de jeunes formés au numérique et beaucoup de choses ont changé. Par exemple ma fille, qui a n’a pas eu une éducation spéciale dans le numérique, a participé dernièrement à la création d’un robot de livraison (livraison de pizzas, etc) : Starship Robotics, créée par le fondateur de Skype : Janus Friis . C’est très normal en Estonie et j’en conclus que nous avons été très bien formés à l’école.
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